Derrière une apparente volonté de « simplification administrative » pour le monde agricole, le texte de la proposition de loi dite « Duplomb » engage un recul majeur en matière de santé intégrative. En affaiblissant le rôle de l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), en réintroduisant certains pesticides et en réduisant les garde-fous environnementaux, cette loi ignore l’interdépendance du vivant : santé humaine, animale et environnementale sont indissociables.

Une expertise scientifique de plus en plus solide mais écartée !

Les expertises collectives INSERM « Pesticides et effets sur la santé », (2013, 2021), fruit de l’analyse de plus 5300 documents, ont permis d’établir et des confirmer des liens entre une exposition aux pesticides et des évènements de santé : chez l’adulte comme chez l’enfant, notamment via une exposition prénatale ou professionnelle (A).

En avril 2025, 1 279 personnes expertes, issues du monde de la recherche et de la santé, adressaient une lettre ouverte aux ministres alertant sur les conséquences sanitaires de cette loi (B). Elle dénonce la remise en cause du rôle de l’expertise scientifique dans le processus d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) en permettant au ministre de suspendre une décision d’interdiction prise par l’ANSES.

En réautorisant les sociétés fournissant les pesticides à prescrire leur usage, la loi court-circuite les principes mêmes de la médecine fondée sur les preuves, réintroduisant un conflit d’intérêt là où la neutralité scientifique devrait prévaloir.

Un recul environnemental emblématique !

En 2016, la France interdisait les insecticides de la famille de Néonicotinoïdes (NEOs), en raison de leur toxicité aiguë pour les pollinisateurs (1). Cette décision, saluée comme une avancée majeure pour la santé environnementale (C), est remise en cause par la présente loi qui envisage de réautoriser trois molécules (acétamipride et deux NEOs sulfoxaflor et flupyridafurone), autorisés partout en Europe.

Les NEOs sont le plus souvent utilisés en enrobage des semences et se répandent dans toute la plante lors de son développement. Les insectes ciblés se contaminent par contact ou ingestion. Les pollinisateurs, comme les abeilles, sont particulièrement touchés – d’où leur surnom de « tueurs d’abeilles ». Ils compromettent ainsi la pollinisation, la production de fruits, la diversité alimentaire et, à terme, l’équilibre nutritionnel. Leur usage mondial a entraîné une pollution durable des sols et des eaux, exposant de façon chronique une large faune non ciblée : invertébrés, amphibiens, poissons, oiseaux et mammifères (D).

Les NEOs sont suspectés d’effets délétères chez l’adulte : altération de la fertilité (2), perturbations endocriniennes, neurotoxicité (3), cancers et maladies chroniques (4). Chez l’enfant, ils sont liés à des troubles neurodéveloppementaux ou du spectre autistique (5). L’exposition in utero ou via l’allaitement favoriserait le diabète de type II, l’obésité et les petits poids de naissance.

Même « encadrée », leur réintroduction est une prise de risque considérable dans un contexte déjà préoccupant d’augmentation des maladies chroniques environnementales.

Faciliter l’usage des pesticides est un choix politique lourd de conséquences. Les familles vivant de l’agriculture sont en première ligne (B). Le défi actuel est d’accompagner transition agroécologique, et non pas d’entretenir une fuite en avant toxique. La santé humaine ne peut être isolée de la santé de l’environnement et de la biodiversité (6). Nos lois ne devraient-elles pas refléter cette réalité ? La santé intégrative se construit dans chaque décision.

 

Liens pour en savoir plus :

Bibliographie :

  1. EFSA, 2018. « Evaluation of neonicotinoids’ risk to bees »
  2. Multigner et al., 2008. Human Reproduction, 23(12):2796–2803
  3. Bouchard et al., 2011. Environmental Health Perspectives, 119(8):1189–1195
  4. Zhang et al., 2022. Environment International, 163, 107201.
  5. Shelton et al., 2014. Environmental Health Perspectives, 122(5): 486–492
  6. A new definition of human health is needed to better implement One Health. « Comment » paru dans The Lancet le 19 mai 2025, cosigné d’un groupe d’auteurs dont de nombreux chercheurs français

 

Auteures : Émeline Descamps – Mireille Peyronnet

Contact : emeline.descamps@inserm.fr – mireillepeyronnetmouroux@gmail.com

Plus d’articles